Interview de Gr̢ce Nkunda РJury des Prix DAPAT 2021 et Directrice g̩n̩rale du Centre Social Foyer de Grenelle.



- Pouvez-vous vous présenter ? 

"Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours voulu aider les autres, venir à leur secours, les aider à trouver la santé ainsi que le bien-être physique et intérieur. Aussi, mes choix ont toujours été guidés par ce désir profond. Que ce soit le choix de mes études, professionnel ou même personnel. C'est ce qui m'a conduit au départ à faire un BAC scientifique même si j'avais un peu de mal avec les maths. Mais je me suis accrochée et j'ai compensé avec les autres matières, particulièrement la chimie et la biologie que j'aimais tant. Ainsi que l'histoire et la géographie dont je ne me lassais jamais d'apprendre, matières dans lesquelles j'avais de très belles notes. Plus tard, j'ai choisi de faire médecine, mais hélas, les aléas de la vie, la guerre dans mes pays d'origine, m'a obligée avec ma famille à faire un arrêt momentané sur la vie, et les projets qui vont avec. C'est ainsi qu'à mon arrivée en France, j'ai dû abandonner mon rêve de toujours, non sans regret. Un regret qui restera longtemps enfoui quelque part en moi. À plusieurs reprises, j'ai souhaité aller vers mon rêve, mais j'ai toujours trouvé des excuses  :  le temps perdu, la durée des études ainsi que toutes les fausses idées que l'on peut se faire. Mais avec le recul, je me rends compte qu'avec tout ce que j'ai fait, j'aurais pu aller vers mon rêve dès le départ. Comme dit  un proverbe : "les gens meurent ou ratent leurs cibles faute de connaissance".

Finalement, je me suis orientée vers un master en management des organisations sanitaires et sociales, suivi d'un DEA en management international. Puisque j'avais tellement envie de retourner dans les pays en guerre pour aider les populations souffrantes. D'ailleurs, j'ai travaillé pendant 2 ans avec la Croix Rouge internationale au moment de la guerre du Kosovo dans les services des ressources humaines et celui de la logistique pour l'envoi des humanitaires et du matériel sur le terrain.

Fascinée par l'être humain, ses capacités de résiliences, son potentiel, j'ai démarré ma carrière professionnelle dans les ressources humaines au sein d'établissements de santé. Ensuite, je me suis orientée vers le conseil dans des cabinets de consulting. Pour aboutir sur des postes de management d'établissements, car je souhaitais mettre en application ce en quoi je crois, autant que possible, créer des liens qui réparent avec toute personne que je croise.

Insatiable, avide de connaissances, et souhaitant toujours m'améliorer, aller de l'avant et rajouter des cordes à mon arc, j'ai fait un MBA Santé à Dauphine et je me lance actuellement dans un DU d'executive coaching afin de proposer du coaching aux personnes désireuses d'accroître leur impact, aux équipes, bref à toutes celles et ceux qui peuvent en avoir besoin.

 Lorsque l'on m'a proposé d'intégrer le jury de l'opération Coups de Coeur de DAPAT, il m'a semblé que c'était une cohérence par rapport à mon parcours, mes valeurs, et à ma vision de ce que devrait être notre société. Une société de solidarité, d'interdépendance et de bras tendu à chaque fois que c'est possible et nécessaire."

- Pourquoi avez-vous accepté d'être membre du jury des Prix DAPAT ?

"Depuis 5 ans, je dirige un établissement social et nous accueillons plus de 1000 personnes par semaine. Très souvent, ce sont les hommes qui se présentent, que ce soit pour une demande de domiciliation, des cours de français pour étrangers, des repas partagés, etc. Au fil du temps et avec le témoignage des femmes rencontrées, j'ai appris que ces dernières se cachent pour échapper à tous les sévices dont elles sont victimes dans la rue. Car on n’imagine pas tous les actes de violence dont elles peuvent être l'objet même des personnes qui sont censées les protéger. Imagine-t-on comment fait une femme qui a ses règles dans rue? Comment fait-elle pour toutes les questions d'hygiène et de besoins quotidiens dans une journée? Certes, c'est aussi difficile pour un homme, mais il se trouve que naturellement/corporellement/physiquement, les femmes sont faites de manière à ce que tout soit plus compliqué pour elle. 

Par ailleurs, elles sont porteuses de la vie. Les hommes aussi, mais ce sont elles qui portent les enfants en leur sein, les accouchent, les nourrissent et très souvent les accompagnent dans leur éducation. Car souvent la précarité de la femme est aussi liée à l'absence du conjoint, du père et du (re)père pour son enfant. Donc en aidant les femmes précaires, l'idée c'est aussi de briser la chaîne de cette malédiction de la précarité pour permettre aux enfants qui naissent dans de tels contextes de trouver de la dignité et d'emprunter des chemins nouveaux.

Je vous ai parlé des hommes qui fréquentent notre structure. J'ai constaté que les 200 enfants que nous accompagnons toute l'année, ce sont les mères qui les accompagnent dans plus de 90% des cas. C'est pour dire le rôle de la mère dans l'éducation, le suivi et la présence auprès des enfants. Par ailleurs, la crise du COVID-19, m'a montré à quels points ces femmes, ces mères qui pour certaines peuvent être dans des situations précaires avaient honte de parler de leurs difficultés et qu'elles faisaient tout pour prendre sur elles. Grâce aux liens de confiance existants, elles ont pu dire leur désarroi, leurs difficultés à nourrir leurs familles, et leurs besoins d'aide dans leurs rôles de parentes.

Par ma présence dans ce jury, j'espère apporter une infime contribution à l'accomplissement de beau projet porté par DAPAT."

Quels impacts espérez-vous que le Prix DAPAT puisse avoir pour les projets soutenus et leurs bénéficiaires ?

"Alors j'espère que le prix qui sera accordé aux structures sélectionnées sera avant tout, reçu comme un signe de reconnaissance pour les travailleuses et les travailleurs de ces structures. Reconnaissance pour l'accueil et l'accompagnement qu'elles réservent aux femmes accueillies et leurs enfants. J'espère que la récompense qui leur sera accordée contribuera directement à améliorer les conditions d'accompagnement réservé à ces femmes. J'espère que ça contribuera à ce que le personnel de ces structures soit encouragé et se surpasse chaque jour pour apporter du réconfort aux femmes et enfants accueillis.

Je pense que nous avons à apprendre de ce que les femmes accueillies ont aussi à nous apprendre et qu'il est toujours intéressant de construire les bonnes pratiques avec elles afin qu'elles puissent mieux les accepter et les assimiler. Je sais que ce n'est pas toujours évident à cause des contraintes de temps, d'habitudes et parce qu'on pense souvent être des sachants plus que les personnes accueillies. Mais nous avons à gagner à les écouter tant elles peuvent nous apprendre. Ça oblige à parler le même langage, à avoir les mêmes mots pour nous comprendre et avancer ensemble. C'est aussi un moyen d'abaisser les frontières, de décloisonner les milieux afin d'être ensemble et non les un·es d'un côté et les autres de l'autre.

Ceci peut passer par la mise en place d'un conseil de maison ou d'un conseil de la vie sociale s'il n'existe pas déjà, pour permettre un lieu d'expression, de dialogue et d'échanges, protégé, entre accueillies, professionnel·le·s et l'institution. On peut appeler ça la démocratie participative. Mais au-delà des mots, ce qui compte, ce sont les liens créés, ce qui se vit à cet endroit même. Je crois que la relation sincère, confiante, d'égal·e à égal·e peut apporter beaucoup, contribuer à la réparation, à l'estime de soi, à la reprise d'autonomie.

La capacité d'agir des individu·es est une notion qui m'est chère. Car lorsque les individu·es retrouvent confiance en soi, ils et elles peuvent à leur tour donner ce qu'ils et elles ont reçu, créer ainsi une chaîne dont nous sommes les maillons pour aider chacun·e à (re)trouver sa place, son identité et sa voie personnelle, professionnelle, etc.

Merci DAPAT pour tout ce que vous faites pour ces femmes, pour ces mères et pour leurs enfants, merci à tous les partenaires, les professionnel·les, les bénévoles. Que ce projet puisse concrètement apporter ce pour quoi il a été créé. Et merci pour votre confiance."